vendredi 29 mars 2024
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El-Kamour: l’autre pandémie

Par Anis Basti

Le scénario vire à la tragi-comédie. Depuis l’abdication du gouvernement face aux sit-inneurs d’el-Kamour, les foyers de sédition éclatent dans chaque coin du territoire là où le sous-sol regorge d’énergie fossile. L’accord signé le 8 novembre entre un gouvernement ayant gagné la confiance d’une majorité confortable de députés et une colonie de mutins occupant depuis des semaines un champ d’exploitation pétrolière est riche en enseignements. Primo, au niveau de la forme. De quelle légitimité disposent ces individus pour astreindre la primature à un round de négociation sous l’effet du chantage et de la menace de suspendre la production jusqu’à ce que leurs revendications fantasmagoriques soient réalisées ? Secundo, au niveau du fond. Cette démonstration de force d’une escouade d’anarchistes qui ont bravé l’Etat sur sa souveraineté, est dangereuse à plus d’un titre.

Premièrement, ce mouvement recèle des relents régionalistes patents dans la mesure où des autochtones de la région « embrasée » déclament le privilège de récolter les dividendes générés de l’extraction des ressources enfouies desquelles la nature les a bénis. Cela constitue en soi une dérive scabreuse par rapport à l’esprit de cohésion nationale et risque d’ébranler les fondements même de la République. L’épouvantail d’un putatif retour au tribalisme et à la féodalité est plus que jamais vif et le spectre de dislocation des institutions est fort envisageable. Deuxièmement, cet accord biscornu dont chaque partie se pavane d’avoir eu le dernier mot à coup de conférences de presse interposées, fera incontestablement effet de tâche d’huile car les velléités factieuses foisonnent un peu partout dans le pays en surfant sur les revendications sociales, par ailleurs légitimes, pour le développement régional et l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Cette affaire n’a pas tardé à faire des émules. Les ressentiments, jusqu’alors larvés, se faisant jaillir par intermittence et d’une manière sporadique, ont soudainement refait surface. Les braises de la contestation ont gagné concomitamment l’ensemble du territoire et les dissidents effrontés se faisant passer pour des Robins des Bois, se sont arrogés une représentativité fictive affublée de statuts saugrenus en guise de fard à une légitimité putative. La situation semble échapper au contrôle du gouvernement qui se débat dans ses contradictions entre consentir à des concessions et faire usage de méthodes musclées pour éteindre, autant que faire se peut, la grogne.

La recrudescence de ces mouvements insurrectionnels est symptomatique de la léthargie des institutions représentatives et des organisations syndicales qui sont naturellement habilitées à défendre les causes sociales et économiques des régions défavorisées et de peser de tout leur poids dans les décisions politiques pour entériner les déclarations de bonne volonté y afférent au développement régional et au partage équitable des richesses.

Les députés, les syndicats ou encore moins les partis politiques qui s’enorgueillissent d’une profondeur populaire et régionale, se sont fait dépasser par l’ampleur des événements et ont vu leur crédit auprès de leurs sympathisants se réduire comme une peau de chagrin. La prise en main de ces contestataires de leur destin sonne le glas des institutions légales et démystifie leur réel pouvoir à conserver le même degré de confiance qu’ils détenaient auprès de la population à l’aube de la Révolution. Les errements et inepties dont ont fait preuve tous les acteurs qui ont gravité ou gravitent encore autour de l’orbite du pouvoir depuis maintenant une décade, en sont la cause de cette désaffection on ne peut plus patente et de la rupture consommée que l’effondrement des indicateurs économiques et les disparités régionales n’ont fait qu’accentuer. Force est de s’interroger sur la corrélation entre ces élans subversifs qui essaiment aux quatre coins du pays et les appels scandés à cor et à cri par certains hauts dignitaires qui ambitionnent, non sans extravagance, de renverser un régime fondé sur le principe de la démocratie représentative à la faveur d’une démocratie participative, c’est-à-dire que la source du pouvoir émanerait des localités et va en remontant jusqu’à atteindre le sommet national incarné par l’hémicycle, antre du pouvoir législatif. Un renversement de paradigme qui s’accommode des relents populistes auxquels plusieurs formations agissantes sur la scène politique s’y adonnent à cœur joie. Nonobstant les desseins qui pourraient se cacher derrière les déclarations politiques quand bien même vaseuses, cette capitulation du gouvernement vient poser, à l’insu ou au corps défendant des artisans de cet accord, la première pierre à l’édifice de ce saut périlleux dans l’inconnu et de cette aventure hasardeuse qui risque de faire partir en lambeaux les fondements de la République et d’instituer une ochlocratie qui ne dit pas son nom. Les tonneaux vides sont ceux qui font le plus de bruit. Une petite pensée à tous ces jeunes qui se battent à la sueur de leur front contre la bureaucratie et les embûches administratives sans fermer les vannes ni coloniser les territoires de production.

Grâce à leur esprit créatif et entrepreneurial, ils nous ouvrent, tous les jours, les vannes de la réussite et de l’espoir, sans vacarme ni grabuge. Visiblement, ce n’est pas la bonne posture pour s’attirer les grâces du gouvernement.

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