vendredi 26 avril 2024
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BREAKING BAD: LA SÉRIE SUBVERSIVE

Il est des productions cinématographiques et télévisuelles qui marquent les esprits et enclenchent une introspection profonde dans nos convictions et paradigmes fruit d’un atavisme reposant sur un système de valeurs socialement correct et une éducation mise au pas par une orthodoxie économico-religieuse. Bien qu’elle ne fait pas partie des nouveautés ayant explosé le Box-Office et qu’elle soit loin du hype dans la mega bulle des séries télévisées, Breaking Bad est une liasse d’épisodes disséminés sur cinq saisons plus haletantes et déroutantes les unes que les autres. Loin du manichéisme facile qui met en scène l’opposition classique entre le bien et le mal, le réalisateur a réussi à déjouer la construction monolithique et éluder la dissociation du dualisme moral. Les deux s’entremêlent, s’agitent et déambulent d’un personnage à un autre au gré des vicissitudes.

Nos émotions sont manipulées. Nos préjugés sont secoués. Cette série est une invitation à repenser les clichés et à interroger les convictions inhérentes d’un legs social et moral communément admis. Vince Gilligan, le réalisateur, a fait preuve d’une habilité déconcertante à permuter les qualificatifs et à jongler avec les attributs que l’on peut se donner aux personnages pour embrouiller l’esprit du téléspectateur habitué à une dialectique surannée, fondée sur le triomphe du bien et la déchéance du mal. Il a voulu montrer que l’incarnation de ces principes religieusement admis dans des personnages ne sied pas. La bienséance aussi bien que l’abomination ne sont plus l’apanage d’un individu.

Avec cette série, on est pris dans un tourbillon d’émotions où l’on perd toute faculté de discernement entre le résultat de l’acte qui peut s’avérer crapuleux et son ressort dont l’intention peut paraître bienveillante. Même dans l’immortalité on peut trouver quelque chose de moral. Tu es vite pris d’affection pour un caïd qui l’est devenu par accident et que rien ne le prédestinait à l’être. Sa situation familiale, son état de santé et son apparence de gendre idéal font qu’il soit accepté et assimilé nonobstant son double côté de brigand qui se transformait, de fil en aiguille, en un impitoyable criminel. Au contraire, tu appréhendes les défenseurs du temple de la loi et de la répression du vice comme les fossoyeurs de l’essor et de l’unité familiale. L’avarice et la cupidité animées par la volonté de garantir un avenir radieux à sa propre famille peuvent être tolérées au nom de la noblesse de l’intention. Le réalisateur s’est livré à un jeu d’inversement et de fluctuation de perception entre l’image que l’on a des personnages ou du moins en apparence et la teneur de leurs actes. C’est un chassé-croisé d’antagonismes. Un affrontement de contradictions qui questionne les stéréotypes sociaux et l’image d’Épinal que l’on a des gens ou plutôt de leur positionnement dans la taxinomie socio-professionnelle urbi et orbi. Gilligan met en exergue le pouvoir fracassant de l’oseille qui peut pervertir toute action humaine et convertir la vertu en dépravation. Il a également joué, d’une part, sur le conscient et le délibéré et, d’autre part, sur le fortuit de bonne foi dont l’argent généré du trafic de méthamphétamine fut salutaire et source de béatitude. Cette série est l’expression cinématographique de la maxime: la fin justifie les moyens. Elle a réussi à briser les frontières entre deux mondes antinomiques pour cristalliser en une seule personne un tendem de caractères et de personnages aux antipodes. C’est la foire aux oxymores les plus imprévus.

Le professeur caïd. L’austère complice de blanchiment. Le Junkie aux sentiments éthérés. Le samaritain tortionnaire. La rencontre de ces paradoxes signe le côté inédit et énigmatique de cette fiction et embarque le téléspectateur dans une lutte entre, d’une part, sa morale qui lui interdit toute sympathie et compassion envers un narco-criminel et, d’autre part, son affection et attachement pour ces malfrats – le professeur, son épouse et son cancre de complice – dont le réalisateur a habilement réussi à poindre leur côté humain question de moraliser, autant que faire se peut, le trafic de stupéfiants. Le jeu de rôle des acteurs, les rebondissements à foison et la souplesse dans les transitions tiennent le téléspectateur en haleine et attisent son engouement pour dévorer les épisodes sans repu et se complaire dans cet exercice de funambule avec les antinomies. La fin, quand à elle, ne déroge pas au devoir de bonne morale auquel est tenu chaque scénariste.

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