mardi 23 avril 2024
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Démocratie et médias : le nécessaire équilibre

Par Anis Basti

L’heure de la reprise a sonné après un été riche en rebondissements entre une deuxième vague du Covid-19, encore plus virulente que la première dont l’issue est plus qu’incertaine, et un interminable feuilleton de formation du gouvernement qui n’a livré son épilogue que le 2 septembre après de longues et tumultueuses semaines de tractations.

Concomitamment à la rentrée scolaire, les émissions radios et talk-shows reprennent de plus belle en cette mi-septembre. Les producteurs et animateurs s’attèlent à innover à l’envi aussi bien au niveau du format que du contenu. La digitalisation à outrance, adossée au caractère ubiquitaire des réseaux sociaux, est venue aplanir les canaux de diffusion de l’ensemble des médias, y compris alternatifs. Aujourd’hui, on peut regarder son émission radio préférée en live via son smartphone ou même la visionner en différé en podcast. On est informé en temps réel des décisions majeures qui modèleront le monde sans attendre le journal de 20 heures ni son quotidien préféré le lendemain chez son marchand de journaux pour être au diapason de l’actualité. Force est de constater que la sphère des médias est devenue une bulle à la croissance incontrôlable et aux ramifications insaisissables. Pour comprendre l’évolution du phénomène, il suffit de faire une lecture sommaire dans la chronologie de l’histoire récente des médias que nous pouvons ventiler en trois étapes majeures. Une première – la plus longue -, qui concerne l’ère des médias classiques en l’occurrence, journaux, radios et télés, respectivement dans le temps. Ces derniers exerçaient une sorte de monopole sur l’information en faisant la pluie et le beau temps sur une opinion publique infusée aux manchettes et gros titres pompeux. Une deuxième, synchrone à l’expansion fulgurante d’internet qui a accordé de nouveaux espaces d’expression, libres de toute censure, en l’occurrence les blogs et forums de discussion.

Ce faisant, on est passé d’un modèle vertical où l’information dégoulinait des dépositaires de presse vers les récepteurs, à un modèle horizontal avec la création d’une nouvelle dynamique ardente appuyée par la technologie du web 2.0 qui permet aux différentes communautés du web d’interagir sans bornes entre elles. Un univers parallèle s’est créé sur les décombres d’une presse qui n’a pas fait son aggiornamento pour former ce qu’on appelle dans le lexique du digital la blogosphère où de nouveaux acteurs en verve, les blogueurs, ont damé le pion à des médias vaniteux ne s’imaginant pas tomber aussi facilement de leur piédestal. Enfin, la troisième étape, qui par ailleurs, s’inscrit dans le sillage de la précédente, est celle des médias sociaux, nouveau concept inclusif qui réunit dans son escarcelle l’ensemble des médias conventionnels et les réseaux sociaux. Nous sommes du coup passés de modèles canalisés dont l’organisation est, à bien des égards, décelable à un entrelac de connexions pour le moins ébouriffant dans lequel le pouvoir d’influence s’est considérablement atomisé entre une engeance de plumitifs et journaleux adeptes de la calomnie et des fake news et une cohorte de valeureux journalistes et professionnels des médias qui luttent pour offrir aux citoyens une matière digne de la noblesse du métier. Toujours faut-il séparer le bon grain de l’ivraie ! Aujourd’hui, on ne sait plus à quel saint se vouer. Nous sommes désormais embarqués dans un maelström d’informations nourri par le triptyque célérité, instantanéité et interactivité. Le web 2.0 s’est mué à la vitesse de l’éclair en web sémantique ou web 3.0. Pour les profanes du numérique, cette nouvelle vision consiste en l’extension du spectre du partage de données dans lequel l’intelligence artificielle s’est immiscée à tour de bras. En effet, il s’agit du traitement de données par de super machines dévolues à la production de nouvelles connaissances en vue d’être réutilisées et exploitées par des applications à la pointe de la technologie ou communautés mues par leur seul intérêt. Le pouvoir factieux des médias, dans leur nouvel accoutrement, peut se mesurer à l’aune de leur indéniable contribution dans la chute de l’ancien régime en Tunisie en désenclavant les foyers de la sédition force vidéos virales des émeutes et témoignages poignants des manifestants qui firent tâche d’huile. Ces mêmes médias ont continué à dicter leur implacable loi sur tout le processus de la transition démocratique, qui, malheureusement, bat de l’aile. De toute évidence, la grande part de responsabilité dans ce marasme incombe, en premier lieu, aux politiciens de tous bords qui se sont emparés des rênes du pays par le truchement d’une parodie d’élections sur fond de clientélisme et financements occultes de campagnes quand bien même les résultats furent transparents. Toutefois, la question épineuse qui mérite d’être posée est quel rôle les médias ont-ils joué au cours cette étape cruciale avec ses acquis et ses désillusions ? Sont-ils complices de cette décrépitude ou victimes de l’inféodation à des courants politiques ou idéologiques qui n’agissent que pour leur propre intérêt ? Bien évidemment, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau de bain. Le climat de liberté, quand bien même controversé, qui prévaut dans le pays après que la Révolution ait levé les verrous et délié les langues a permis, d’un côté, l’éclosion de vraies pépites qui ont crevé l’écran par leur diction envoûtante et positions téméraires, et de l’autre, l’émergence de hordes de blaireaux érigés en icônes du petit écran alternant vacuité intellectuelle et indécence du sensationnel. D’aucuns diront que cette situation est malgré tout salutaire pour une démocratie encore balbutiante et est la conséquence inévitable de tant d’années d’oppression et de confiscation de la liberté d’expression. Mais au point où l’on en est, la normalité n’est plus de mise. Face à l’inexorable submersion du navire des valeurs, les médias, en tant que dépositaires du quatrième pouvoir, doivent s’acquitter pleinement de leur rôle dans l’édification des fondements de ce qu’on appelle la deuxième République en s’attelant tout d’abord à respecter la déontologie du métier qui, semble-t-il, manque à l’appel par moments. Des concepts tels que « dialogue national » et « consensus » furent vidés de leur substance par des formations politiques qui ne cherchaient qu’à coaliser au gré de la conjoncture pour se positionner sur la sphère décisionnelle et de gouvernance.

Les pactes à tire larigot, voués à l’avarie avant même leur mise en application, n’avaient jamais inclus les médias pour convenir avec le reste des institutions sur un substrat de valeurs communes qui ne déversent que dans l’intérêt général et mettre en place un plan stratégique national inclusif qui mettra à contribution les acteurs agissants dans la construction démocratique dont les médias arrivent en tête du peloton. Ceci étant, il y a lieu de concilier ce rôle vertueux peu au goût des masses avides du futile avec l’impératif commercial indispensable à la survie de tout organe médiatique. Un aplomb difficile à réaliser en cette période de déchéance des valeurs et d’exacerbation de la culture du buzz et de la course à l’audimat. Notre jeune démocratie souffre terriblement d’une déficience en marketing. Les déboires qu’elle a occasionnés au niveau de la sécurité, du pouvoir d’achat et de la qualité de vie du citoyen l’ont écornée au plus haut degré à tel point que de plus en plus de voix s’élèvent pour regretter l’ancien régime, alors que ces mêmes voix lui jetèrent l’opprobre un certain 14 janvier 2011. D’aucuns diront que les médias ne sont que le reflet de la société avec ses côtés reluisants et brumeux. Cette assertion, bien qu’elle soit défendable, fait omission de leur rôle éducatif et apport substantiel dans le nivellement par le haut des esprits et des consciences. L’équation est très complexe. Elle gravite autour de trois inconnues : le monde politique, le milieu des affaires et les médias.

Parfois les lignes de démarcation sont si ténues que les trois éléments s’entremêlent pour former un amas hybride souvent cristallisé dans une seule personne. Cette malencontreuse configuration ouvre la voie à toutes sortes de dérives d’instrumentalisation à des fins de propagande où le média devient une tribune pro domo au service exclusif de son promoteur. Dans un autre visage moins clinquant, l’association des affaires avec les médias peut se révéler plus astucieuse dans la mesure où elle permet à l’actionnaire majoritaire qui est à la fois homme d’affaire et propriétaire du média – un mélange des genres –, de se doter d’un moyen de pression occulte pour peser de tout son poids dans ce branle-bas politique et nourrir des desseins partisans ou affairistes.

Le rapport entre les médias et l’argent est devenu si fusionnel et organique que la paraphrase de l’adage « l’argent est le nerf de la guerre » sied parfaitement au contexte. Et dire qu’aujourd’hui les guerres se font par médias interposés. Beaucoup de professionnels du métier, soucieux de leur intégrité et ardents défenseurs de la liberté d’expression, se retrouvent pris en tenaille entre l’impératif de la continuité de leur existence et la présentation d’une matière selon ce que leur conscience leur dicte. Un dilemme pas toujours facile à gérer.

Et pourtant, dans cet exercice de funambule, de vaillants journalistes et producteurs de contenu ont concédé à prendre leur bâton de pèlerin, quitte à ramer parfois contre-courant, et s’adonner à la périlleuse tâche de s’affranchir, un tant soit peu, du joug du compagnonnage politico-affairiste pour raviver la flamme de la Révolution, celle des illusions perdues en une Tunisie plurielle et libre qui donne cours au rêve. Un rêve de construire sa vie dans son propre pays et non pas de céder aux sirènes de l’émigration clandestine pour tenter une scabreuse traversée de la Méditerranée devenue la plus grande nécropole marine. A ce moment, il sera trop tard de réaliser que le rêve de joindre la rive nord n’est autre qu’un cauchemar.

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