mercredi 4 décembre 2024
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LA FABRIQUE DE L’ÉCHEC

Par Hédi LABBANE
Peintre-enseignant

« Dans les révolutions, il y a deux sortes de gens : ceux qui les font et ceux qui en profitent. » Napoléon 1er.

Si l’on excepte la liberté d’expression (ne pas baisser la garde pour autant), conséquence directe de la chute de l’ancien régime liberticide de Ben Ali, la 2ème République tunisienne, censée apporter davantage de progrès aux conditions de vie des citoyens, peine à se réaliser, même qu’elle donne l’impression de marcher à reculons « comme une écrevisse ». Les preuves pour étayer ce constat ne manquent pas. Sans prétendre à l’exhaustivité, on en cite quelques-unes :

1- La laïcité a été jetée aux orties suite à l’inadmissible marchandage dans l’élaboration de la Constitution traduisant l’ineptie d’une classe politique schizophrène qui a reconduit l’islam en tant que religion d’Etat dans l’article premier de la Constitution.
La confusion entre le caractère temporel de cette dernière et le postulat d’intemporalité supposée de la Loi de Dieu est flagrante. Au départ, les islamistes ont placé la barre très haut en exigeant l’instauration de la charia pour, finalement, se contenter – sous la pression de la société civile – de la reconduction littérale de cet article. Ce qui, penseraient-ils, n’est pas en contradiction avec leur dessein idéologique. A ce titre, il faut rappeler la primauté de l’article en question sur les 147 restants. Un argument de taille dont disposent les islamistes pour instiller, au moment opportun, leurs idées rétrogrades.
Sur ce point, les islamistes ont eu gain de cause, au grand dam des laïcs.

2- La tendance est à la privatisation totale ou partielle des entreprises et des sociétés d’utilité publique. Par son laxisme persistant et sa mauvaise gestion, l’Etat les a transformées en fardeau et, du coup, s’est trouvé un bon prétexte pour en justifier la vente.

3- Plus grave encore quand cette politique sournoise de désengagement et de mauvaise gestion atteint le secteur sensible de l’enseignement public, déjà en nette régression depuis la prise du pouvoir par Ben Ali : après sa chute, les gouvernements successifs n’en finissent pas de tergiverser pour mettre sur pied une vraie réforme en procédant à une refonte totale des contenus des enseignements et des méthodes pédagogiques en vigueur dont on connait les effets délétères sur les capacités réflexives et intellectuelles des jeunes. Il n’y a pas de meilleures raisons pour jeter les parents soucieux de l’avenir de leurs progénitures dans les bras des écoles et des universités privées qui ne pensent qu’à se faire de l’oseille.

4- Persévérant dans la même attitude négligente, l’Etat est le grand responsable de la dégradation des hôpitaux publics (salubrité des locaux non conformes aux normes, mauvaise répartition des médecins spécialistes selon les besoins régionaux, équipements médicaux en mal de maintenance ou parfois inexistants, médicaments qui disparaissent ou font cruellement défaut, manque d’égards pour les patients…). Cette situation fait le bonheur des cliniques privées réservées aux riches (les moins riches se saignent à blanc pour se soigner). Elles engrangent d’énormes bénéfices au détriment du droit inaliénable de tout individu aux soins médicaux dans la dignité et à une protection sociale de qualité.
La pandémie du Covid n’a fait que confirmer cette tendance hasardeuse.

5- Des services de transport en commun qui laissent à désirer par le maintien en circulation de véhicules vétustes, souvent bondés, se transformant aux heures de pointe en boîtes à sardines, et qui n’ont aucun égard pour la ponctualité et, par là même, aucun respect pour les usagers.

6- Une politique culturelle dénuée de vision qui se plait dans l’insignifiance folkloriste et le populisme asséchant. Le ministère de la Culture ne fait que gérer les affaires courantes, concentrant ses activités principalement pendant la saison estivale. Sans parler de la cupidité de certains artistes, tous domaines confondus, qui prennent l’Etat pour une vache à lait.

7- La nonchalance, sinon l’incapacité, parfois la difficulté des pouvoirs publics à créer les conditions d’un environnement sain. Voilà un problème de santé publique qui doit être traité dans l’urgence, principalement en milieu urbain et dans les zones industrielles, et ce, pour prévenir la résurgence de maladies qu’on croyait disparues dont la cause est l’amoncellement des ordures ménagères, la pollution de la terre, de l’air et des eaux.

8- Une citoyenneté en crise : la coexistence dans l’espace public a du plomb dans l’aile.
Des actes d’incivilité, de vandalisme, d’agressivité sont monnaie courante, prenant parfois des proportions alarmantes, sans que les autorités publiques ne bronchent, et même qu’elles paraissent impuissantes. Une frange de la population, poussée par la frustration ou manipulée, est en proie à une hystérie revendicatrice récurrente (accroissement exponentiel des demandeurs d’emploi que l’Etat est incapable de satisfaire, baisse inquiétante du pouvoir d’achat, appauvrissement de l’Etat…). Ce qui n’est pas sans se répercuter sur le cercle vicieux du surendettement auprès des bailleurs de fonds internationaux.

9- En plus de son incompétence, la classe politique est magouilleuse, tantôt véreuse, tantôt factieuse. Elle est plus tentée par la manœuvre et la tactique politicienne que par l’intérêt général.

10- Emergence des violences sociales et de courants fondamentalistes missionnés pour des assassinats politiques et que la justice n’a que trop tardé à élucider.

11- Pour couronner le tout, un régime politique bancal, responsable d’instabilité politique et de gouvernance hétéroclite.
Rétrospectivement, il s’avère que le choix d’une Constituante, qui a coûté à l’Etat des sommes faramineuses, n’était pas judicieux ou, du moins, a été dévoyé de son objectif de progrès et d’émancipation sociale.
Paradoxalement, l’option d’une Constituante a été ardemment revendiquée tant par une gauche nostalgique des luttes estudiantines que par des tendances d’Extrême droite à la sauce tunisienne incarnée par le réactionnisme islamiste.
Était-il nécessaire de perdre tout ce temps et tant d’argent pour concrétiser les désirs légitimes exprimés lors de la révolte contre l’ancien régime ? Question pertinente après une décade de marasme généralisé.

En conclusion, et à la lumière de ce qui a précédé, toute démocratie reste une coquille vide si elle n’associe pas à la concrétisation des besoins immédiats et vitaux du peuple, un projet civilisationnel clairement défini et une vision d’une société où il fait bon vivre.

Toutefois, il est préférable de nourrir des rêves que de regretter. Mais se réveiller est encore mieux !

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