jeudi 3 octobre 2024
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Souvenirs et Nostalgie 4 !

Par Zouhair BEN JEMAA

L’éthique est au centre de tous les débats. La grande majorité des professionnels de la santé est fidèle au serment d’Hippocrate, mais reste souvent silencieuse devant les brebis galeuses qui nagent dans la corruption, et se plaisent dans la cupidité ! Comme nous ne devons pas confondre éthique et corporatisme, nous allons mener une série d’interviews sur le zénith, avec les maîtres d’hier qui remplissaient divinement bien leur triple mission de soins, d’enseignement et de recherche ! Nos savants nous parleront du passé et porteront un regard sur le présent. Jean Jaurès disait : « On n’enseigne pas ce que l’on sait, ou ce que l’on croit savoir : on enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est » ! Alors intéressons-nous aux conditions d’enseignement du vingt-et-unième siècle, et osons dire les choses pour sauver le service public de la santé !

Notre invité cette semaine est le Professeur Mohamed Ridha MZABI, notre éminent chirurgien n’est pas Djerbien, et il aurait pu l’être, mais il est originaire de Sousse ! Depuis l’enfance, le jeune Ridha avait décidé d’être chirurgien ! Oui précisément, car il suivait comme tous les citoyens de sa ville la vie du Dr BISHLER, un alsacien qui occupait le poste de chef de service à l’hôpital de Sousse. Ce monsieur se baignait tous les matins, été comme hiver, il ne passait pas inaperçu, et n’a pas manqué de faire rêver et décider notre jeune bachelier, la fibre nationaliste aidant,  à partir à Paris pour suivre ses études de médecine ! C’était l’époque où il n’y avait pas besoin d’avoir 18 de moyenne pour être éligible, la porte était ouverte à tous, et l’écrémage se faisait naturellement, 500 étudiants la première année, 250 la deuxième, et 150 la troisième année !

Alors Professeur, parlez-nous de votre quart de siècle consacré à la médecine tunisienne,  et dites-nous ce qui vous motivait pour être resté tant d’années !

Ce qui me motivait dès mes débuts en 1965, quand je commençais comme interne, c’était l’enthousiasme d’apprendre mon métier et de servir la médecine et mon pays. J’avais commencé à l’hôpital Habib THAMEUR avec le professeur Saïd MESTIRI, et après un an, j’ai rejoint en compagnie de mon ami Mohamed FOURATI le service du Professeur Zouheir ESSAFI à Charles Nicole. Je dois dire que notre maître nous avait acceptés de suite, et nous en étions devenus admiratifs aussitôt ! Professeur ESSAFI avait de la poigne, il était d’un niveau très élevé, pas seulement en médecine, mais il avait une culture générale impressionnante. Au début on était deux ou trois dans le service du Professeur, on avait un rythme infernal, il m’arrivait de ne pas franchir le seuil de la porte de l’hôpital pendant deux semaines consécutives, j’étais payé 50 dinars par mois, et j’étais heureux. J’avais la soif d’apprendre, et la peur de décevoir mon maître. Mes conditions étaient restées les mêmes jusqu’à 1971, ensuite je suis devenu assistant, et je ne sentais pas le temps passer. En 68/69, il y a eu le bateau américain « HOPE », un hôpital flottant qui avait accosté à la goulette, et qui est resté immobilisé pendant un an pour soigner les Tunisiens ! D’éminents professeurs américains venaient par avion et passait 15 à 20 jours à bord pour assurer les meilleurs soins à nos compatriotes. Professeur ESSAFI m’a envoyé à bord et j’étais le seul chirurgien tunisien à y exercer, j’en garde de délicieux souvenirs ! Après ma journée de travail, le Professeur américain complétait ma formation avec des diapos, des conférences, sur la maladie ! Professeur SHELDON m’avait offert de valeureux livres sur la chirurgie de sa bibliothèque personnelle, et dans sa dédicace, il m’avait rappelé la devise du chirurgien : « le cœur du lion, l’œil de l’aigle, et la main de l’amoureuse » ! Ainsi j’avais beaucoup appris sur la maladie. En 73, Professeur ESSAFI m’avait envoyé pour une année, au Royal Victoria Hospital à Montréal, service chirurgie. Alors que jusque là je pensais que les Français étaient cartésiens, j’ai vite changé d’avis pour reconnaître que ce sont les anglo-saxons qui l’étaient. Mon maître m’avait rappelé avec autorité pour que j’interrompe mon séjour pour une semaine afin de passer l’agrégation, je l’ai fait et obtenu mon agrégation.

Vous n’avez pas été tenté d’aller dans le privé pour vous enrichir ? L’argent n’avait aucune place dans votre cœur ?

Je ne voulais prendre aucun risque pour mes malades, et j’attendais d’avoir la maîtrise de toutes les situations pour sortir dans le privé, et puis la formation que j’avais la chance d’avoir en Tunisie, comme aux Etats-Unis, me retenait de sauter le pas ! Les Américains avaient tout fait pour me garder, et je ne pouvais pas accepter, par fidélité à mon maître et à mon pays ! Et puis les choses allaient très vite subitement ! Le 9 avril 1976, alors que je m’y attendais le moins, je suis devenu orphelin, et tout chavirait ! Mon maître a été victime d’un accident stupide provoqué par un chauffard criminel, il a succombé le lendemain, la vie n’avait plus le même sens pour moi. Pour nous consoler, on peut toujours évoquer l’intervention du Pr ESSAFI en Janvier de la même année 1976, quand il annonçait lors d’une conférence que les malades Tunisiens n’avaient plus besoin des services médicaux étrangers ! Le voilà parti tranquille pour la médecine tunisienne ! En 76/77, j’ai rejoint le système du plein temps aménagé, et rejoint la clinique Beau séjour. Je combinais entre public et privé, sans jamais perdre de vue ma culture de rendre service, de respecter le patient, et de former ceux qui m’entouraient ! En 1988, j’ai été nommé membre de l’American College of Surgeons, et pour participer aux cérémonies officielles, j’avais demandé à ce qu’on prenne en charge mon séjour américain tout en proposant de supporter les frais de transport, on m’avait répondu que les moyens ne le permettaient pas, j’avais décidé de raccrocher avec le public et j’ai démissionné après 24 ans de loyaux services à la santé publique !

Et si on parlait d’éthique Professeur, un mot qui n’a plus de sens chez certains de vos confrères ?

Je vais vous communiquer ce que j’avais dit à ce propos en mars 2010, au congrès de la société tunisienne de chirurgie :

Pour bien faire ce métier, la conscience nous dicte d’aimer sincèrement, et profondément le genre humain. A ce prix seulement, on se mettra à l’abri de considérer le malade comme une source de revenu, à l’abri de poser des indications opératoires abusives. On sera alors, mieux à l’écoute du patient qui se présente à nous en position d’infériorité, fondant tous ses espoirs en nous ! Je voudrais dire aux jeunes : nous avons une des plus belles professions, alors aimons-la, respectons-la, en privilégiant son côté humanitaire plutôt que son côté matériel. Croyez-le, elle nous le rendra au centuple, en reconnaissance et en considération de la part de ceux que nous avons soignés, et de la part de toute la société !

 Professeur Zouheir ESSAFI par Professeur Mohamed Ridha MZABI

Pr. Zouheir Essafi

Après ses études secondaires, Zouheir ESSAFI prend le chemin de la faculté de médecine d’Alger où il accomplit le premier cycle des études médicales. Il rejoint après la faculté de médecine de Paris.
Il se présente alors au prestigieux concours d’internat des hôpitaux de Paris auquel il est reçu. Cela lui ouvre les portes d’une solide formation de chirurgie générale, spécialité pour laquelle il a opté.
Sa formation terminée, il rentre à Tunis où il commence à l’hôpital Charles Nicole, dans le service du Dr DEMIRLEAU auquel il va succéder  après la tunisification des services de santé.
La faculté de médecine créée, il est nommé Professeur Agrégé de chirurgie. Dès lors, il s’attelle à l’organisation de l’enseignement, des soins, de la formation des futurs cadres de son jeune service qui va bientôt accueillir des étudiants.
Il s’investit dans cette mission avec enthousiasme et abnégation, communiquant cet état d’esprit à ceux qui le rejoignent.
Comme il était très tourné vers l’Amérique, il réussit à transmettre une chirurgie moderne n’ayant rien à envier à celle enseignée dans les pays européens !
Il a inculqué la rigueur, le respect du malade, l’abnégation dans l’exercice de ce beau métier. Ayant formé des cadres compétents pour son service, il pouvait se permettre dès lors de s’occuper de la faculté de médecine de Tunis, à la tête de laquelle il a été élu Doyen, et de commencer à s’attaquer à de grandes réformes.

Malheureusement, le 9 avril 1976, un accident de la circulation met fin à cet élan, laissant cette étape inachevée, et laissant des orphelins, dont moi-même, très désolés !!!

 Pour conclure, que diriez vous à ces brebis galeuses qui n’ont ni foi ni loi, et qui se comportent en marchants ambulants en s’asseyant sur l’éthique et sur le serment d’Hippocrate ?

Franchement, ils me font honte ces pseudo-médecins car vous en conviendrez ils ne méritent pas ce titre si noble ! Je me sens désolé et je ne sais pas quoi leur dire car toute est une question de culture, d’éducation, de formation. Je n’arrive pas à imaginer qu’un médecin ne se respecte pas et ne respecte pas le serment prêté devant ses maîtres, ses parents et ses proches ! Si seulement ces égarés pouvaient imaginer, l’étendue des dégâts qu’ils peuvent causer à des générations de chirurgiens ou de médecins. Je reste cependant confiant, que les jeunes en formation actuellement seront dignes de ce beau métier, que l’éthique sera respectée, et que la santé dans le public, comme dans le privé, reprendra ses galons d’antan et trouvera des personnes dignes et patriotes pour la gérer avec dévouement et efficience !

 

 

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