Par Anis Basti
C’est devenu une habitude. À l’approche de chaque saison automnale, les Tunisiens retiennent leur souffle. Les images épouvantables des villes inondées ont laissé des plaies béantes dans la tête de chaque citoyen qui est pris en tenaille, pendant cette période de l’année, entre la fin d’un été dispendieux et une rentrée scolaire qui ne l’est pas moins. Et comme si cela ne suffisait pas, s’ajoute à ses tracas du quotidien, la paranoïa de ce fléau qui hante nos esprits depuis qu’il s’est invité à nos journées aoûtiennes et septembristes, un certain 16 septembre 2003, pour ne plus les quitter en jetant à chaque fois son dévolu sur des régions différentes du territoire et assénant son lot de dégâts, bon an mal an. L’histoire du Tunisien avec la pluie ressemble bien à un « je t’aime moi non plus. » Même l’art s’en est mêlé en nous livrant l’une de ses plus emblématiques productions théâtrales, à savoir Ghassalet Ennwader, nom commun attribué à la mousson d’automne.
Quand elle se fait rare, l’inquiétude s’empare de tout le pays. Les agriculteurs en particulier. Livrées à leur impuissance à faire changer le cours de la nature, les autorités se rabattent sur l’imploration de la volonté divine en appelant, à coups d’annonces officielles, à tenir la prière de la pluie sur l’ensemble du territoire. L’appel semble avoir été entendu et exaucé en différé. Avec abondance, de prime. Les flots qui tombent du ciel ajoutent à la moiteur de l’automne, l’effroi de voir déferler des torrents de vase emportant tout sur leur passage dans des scènes dignes d’apocalypse. Bétail, véhicules ou objets de toute nature sont à compter parmi les victimes favorites engendrant dévastation et désolation parmi les populations atteintes. Hélas, des vies humaines sont à déplorer que des ruisseaux urbains déchaînés ont eu raison d’elles, élevant pour le coup le phénomène au rang de catastrophe naturelle. De toute évidence, le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. L’histoire récente de la Tunisie fut jalonnée de plusieurs épisodes marquants depuis l’indépendance. Les inondations de 1969 qui avaient frappé les régions du centre, particulièrement le gouvernorat de Kairouan, furent les plus meurtrières faisant 540 victimes. Force est de constater que jusqu’au début du 21ème siècle, les grandes inondations survenaient à des intervalles de 4 à 5 ans. Alors que depuis le sinistre épisode de 2003, la fréquence s’est considérablement accélérée pour s’inscrire dans la durée et devenir un malencontreux rendez-vous annuel plongeant tout un pays dans la fatalité de subir les courroux d’une nature de plus en plus brutale et une infrastructure de plus en plus délabrée. Le changement climatique n’est plus une vue de l’esprit mais une vérité avérée sur laquelle s’accordent tous les climatologues et scientifiques. Le phénomène du réchauffement qui va en augmentant, a largement favorisé ces coups de bambou de la météo dignes des tropiques qui ne ménagent ni vivants ni installations. Cela peut en partie constituer une explication qui tient des fondements solides et incontestables ; toutefois, la gestion humaine n’est pas exempte de tout reproche. Parfois des ondées éclair qui sont loin d’engendrer la tant redoutée mousson d’été, mettent à nu les défaillances patentes d’une infrastructure caduque et non conforme aux défis climatiques qui nous guettent. Manque de maintenance au niveau des conduits souterrains d’eau, qui, pour la plupart, ne sont pas aux normes requises, devenant des cloaques où s’amoncellent tous genres de sédiments. Des plans d’aménagement urbain à l’emporte-pièce qui ne prennent pas en considération les lits des fleuves lestés de remblai afin de permettre à de vénaux promoteurs immobiliers de s’emparer de plus de surfaces constructibles. Des raccordements aux canaux d’évacuation qui laissent à désirer. Des constructions anarchiques qui exposent leurs « architectes » de propriétaires à des risques démesurés. Et last but not least, le comportement indigne et ignominieux de bon nombre de citoyens dépourvus de tout sens de civisme qui balancent à tour de bras toute sorte de cochonneries sur la voie publique, lesquelles glissent à travers les mailles des regards d’égouts pour les obstruer bloquant du coup l’absorption des pluies diluviennes.
Pour prendre la mesure de la gravité de la situation, en discutant, il y a quelques jours, du phénomène avec un ami, il m’a confié en poussant un léger soupire, que l’on n’a plus le choix que de faire avec. Un aveu d’impuissance aussi bien face à une nature déchaînée que l’on a tant malmenée que face à une gouvernance calamiteuse qui ne nous laisse que la libre expression pour se consoler.