samedi 20 avril 2024
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Les jeunes et l’autorité: atomes non crochus

Par Anis Basti

On peut mettre les dernières manifestations qui ont émaillé le pays depuis que le gouvernement a décrété le mini-confinement de quatre jours sur le compte de l’emballement et de la fougue de la jeunesse. Mais la récurrence et la véhémence de ces mouvements, au début nocturnes, en signe de bravade du couvre-feu, occasionnant scènes de pillage et affrontement musclé avec les forces de l’ordre, puis diurnes, en brandissant des slogans plus politiques notamment aux abords de l’hémicycle, au Bardo, le jour du vote de confiance des nouveaux ministres, laissent envisager un malaise plus profond qui a gagné cette frange de la société dont la plupart étaient encore des éphèbes un certain 14 janvier 2011. Une génération biberonnée à la brutalité et la balourdise de cet ersatz de démocratie que les déboires économiques et la paupérisation galopante de la population avaient rajouté une couche à son discrédit.

Par-delà le sempiternel aphorisme de conflit de générations que les chantres invétérés de la candeur de la Révolution usent à l’envi pour mettre de l’eau dans son vin de la sédition juvénile et décrédibiliser toute levée de boucliers contre les injustices et les turpitudes des dirigeants, la série de manifestations qui, au fil des jours, a gagné en intensité et en masse, est symptomatique de la béance entre une jeunesse 2.0 qui ne garde de l’absolutisme du régime déchu que quelques réminiscences et une engeance de politicards qui ont fait des clichés surannés et de la supercherie leurs seules réponses aux revendications d’une jeunesse désabusée ayant nourri une désaffection sans commune mesure à l’égard des politiques de tout acabit.

Mais pour arriver à cet état de fait peu réjouissant, les gouvernants qui se sont succédé sur le triptyque d’un pouvoir morcelé, assument une grande responsabilité par rapport à ce marasme dans la mesure où ils ont marginalisé les aspirations de la jeunesse et dédaigné l’enthousiasme débordant qui l’animait en la réduisant à un argument de campagne et en la gavant de fausses promesses et de discours pompeux en guise de racolage électoral.

Cette attitude peu responsable a conduit à une posture scabreuse par laquelle les jeunes n’éprouvent plus aucun sentiment d’appartenance à leur pays et appréhendent l’Etat comme un fossoyeur de rêves et briseur d’ambitions qui ne s’embarrasse guère d’utiliser son pouvoir coercitif au préjudice des forces vives du pays, de leur liberté et de leur désir ardent à croquer la vie à pleines dents. Cette rupture consommée est la conséquence d’une démission de l’Etat par rapport à son rôle d’encadrement et d’assistance qui commence dès le quartier pour ensuite s’étendre à la localité puis la ville. Ce faisant, c’est le vide sidéral qui règne et l’Etat s’illustre par son absence totale de la vie des jeunes, de leur divertissement et de leurs loisirs. Le jeune se trouve du coup abandonné à lui-même, sommé à tenir les murs et à flâner dans les venelles de son quartier, distribuant sans repu les regards inquisiteurs. Un désœuvrement qui fait de lui une proie facile à l’enrôlement dans les filières de la délinquance et du fondamentalisme religieux.

La dégradation de l’éducation et la déliquescence de l’enseignement public ont contribué d’une façon substantielle à cet effondrement inexorable et programmé. En l’espèce, le jeune est en butte à une éducation alternative où la nébuleuse des réseaux sociaux a littéralement supplanté l’école, les espaces classiques de divertissement, voire même la famille. Les jeunes s’organisent entre eux, forment des groupes d’intérêt communs, se rassemblent en communautés monolithiques le tout à l’insu de toute forme d’autorité, parentale ou publique soit-elle. Ces jeunes sont, du coup, formatés et façonnés aux algorithmes manipulateurs et ébouriffants développés dans les laboratoires de recherche des GAFA* à la Silicon Valley. Libre de tout contrôle (pas dans le sens de la censure comme le faisait Ammar 404) et errant dans le vide que l’Etat a délibérément concédé au détriment d’une effervescence sociale et culturelle qui ne se dément pas, la jeunesse se trouve amenée à se soustraire de l’orbite de la société avec toutes ses normes, ses codes et ses modes de fonctionnement pour en créer une société sous-jacente avec des règles antagonistes à celles de la matrice, nourrissant une aversion patente à l’encontre de celle-ci. Ce phénomène de polarisation, de surcroit exacerbé par le tout virtuel, engendre inéluctablement une situation d’affrontement avec les garants du système, en l’occurrence les forces de l’ordre, laquelle peut virer vers une escalade de la violence et compromettre du coup toute contingence de réconciliation et d’apaisement. L’esprit tutélaire et la propension au jugement réduisent à néant toute faculté d’écoute que l’Etat devrait en faire preuve vis-à-vis des jeunes et annihilent la conversion et l’assimilation de cet enthousiasme explosif dans le cercle vertueux de la créativité, du développement inclusif et de la création de valeur. S’obstiner dans cette posture, ne résout guère le problème.

Faire semblant d’écouter les jeunes à coup de consultations nationales insipides sur fond de relents politiques, n’est qu’une parodie mal interprétée et un fard juste pour avoir bonne conscience. La solution réside dans une vraie volonté d’écoute et d’adoption d’une approche de proximité qui fait fi de l’attitude rigide et condescendante qui a toujours caractérisé l’action politique et accentué le schisme entre composantes d’une même société. Les gouvernants de tous bords ne sont jamais descendus de leur piédestal et n’ont point tenu un dialogue d’égal à égal en toute humilité et empathie pour les comprendre, ausculter leurs préoccupations et les inclure dans la dynamique de construction de nouveaux fondamentaux de développement dans le droit fil des revendications de la Révolution. Faute de quoi, l’autisme est toujours de rigueur, et les dirigeants s’enlisent davantage dans leur torpeur en veillant au maintien d’une juridiction anachronique et sclérosée, en décalage par rapport à l’évolution de la société et au brassage culturel universel que la mondialisation et la bulle internet avaient occasionné. En plus des lois iniques et liberticides ayant trait aux questions relatives à une morale ultraconservatrice et au nom du maintien de l’ordre établi, les jeunes doivent aussi subir les exactions d’une doctrine sécuritaire oppressive, adossée à un puritanisme persécuteur de toute velléité épicurienne et fulgurance juvénile. C’est un véritable jeu de souque à la corde auquel s’adonnent, sans démordre, les dépositaires d’autorité, d’une part, et les jeunes, d’autre part, en guise de lutte interminable d’affranchissement et d’émancipation des injonctions légales et morales que les seconds croient endurer de la part des premiers. La Révolution que les jeunes avaient, à juste titre, allumé les premières braises, n’a fait que remonter à la surface ce malaise larvé et attiser ses modes d’expression au lieu de l’estomper par le dialogue et l’atténuer par des réformes vaillantes et progressistes. En attendant, les cerbères gardent avec vigilance le temple de la bonne morale et, par ricochet, les scories de l’ancien système.

*Google, Apple, Facebook et Amazon.

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