jeudi 25 avril 2024
Accueil / Société / Au pays des tartuffes-bigots

Au pays des tartuffes-bigots

Par Anis BASTI

Décidemment, nous sommes une société qui préfère se dérober de la réalité peut-être parce qu’on la redoute tant ou que regarder nos travers dans le miroir nous éblouit les yeux et assène un coup de boutoir à notre ego surdimensionné. Notre culture sociale commune et notre éducation sont empreintes d’idéalisme et abhorrent l’individualité de l’être. L’intérêt de la communauté, ses us et coutumes et ses mécanismes de fonctionnement passent avant la liberté individuelle et les choix délibérés des citoyens dans leur mode de vie et même dans leurs orientations les plus intimes. Le corps au même titre que la pensée sont confisqués, effacés et anéantis au profit d’une conscience collective soumise au poids des traditions et régie par des codes de société immuables et surannés. Toute tentative subversive ou mouvement factieux qui tend à ébranler le pouvoir hégémonique du conservatisme et à faire évoluer la société vers plus de liberté, soulève une levée de boucliers et attise le fiel d’une large frange de la société qui voit d’un mauvais œil tout changement et l’appréhende comme une menace à l’ordre établi. Du coup, c’est toute la structure de la société qui sera chamboulée, bouleversée et déstabilisée et par ricochet tout le système de privilèges dont jouissent les dépositaires de la doxa machiste qui sera sacrifié sur l’autel de la liberté. De toute évidence, c’est une affaire de pouvoir dissimulée sous le fard du sacré et affublée de l’argument d’autorité de la religion que les faux dévots usent à l’envi pour rouler dans la farine une masse hermétique à tout changement et intransigeante avec l’application rigoriste des préceptes religieux.

Nous avons vécu plusieurs fâcheux épisodes de ce genre où les manipulateurs qui tirent les ficelles du jeu politique usèrent de toute leur fourberie et malice pour haranguer des hordes d’ignares, chauffés à blanc dans le seul but de s’attaquer à la liberté d’expression et artistique – Les incidents de Abdellia, CinemAfricArt, Nessma – et, du coup, avorter toute velléité réformatrice appelant à davantage de liberté quand bien même en concordance avec les principes et dispositions d’une Constitution qu’ils avaient eux-mêmes rédigé et s’en vantaient sans scrupule qu’ils veilleraient à son respect et son application draconienne. Cet état d’esprit pour le moins qu’on puisse dire hypocrite, est symptomatique de la couardise de ses promoteurs et de l’ineptie de ses sympathisants réduits à des dindons de la farce à leur insu. Ces réactions belliqueuses et violentes sont la seule réponse que ces gardiens du temple de la morale peuvent donner aux défenseurs zélés de la liberté qui osent braver cet atavisme érigé en doctrine.

Elle fait également office de punition divine par procuration pour le sacrilège qu’ils ont commis et l’impudence dont ils ont fait preuve et qui mérite le châtiment suprême. Ceci étant, les chantres invéterés du puritanisme et de la chasteté mènent une double existence ou plutôt une double apparence qui oscille entre l’image candide qu’ils feignent transmettre et celle de l’humain à l’instinct refoulé qui se refuse de se réconcilier avec une certaine forme de conscience collective par rapport aux prédispositions du genre humain à la lubricité et la concupiscence.

Cette culture des faux-semblants et du déni de ce qu’il y a de plus naturel chez l’être humain, trouve son substrat idéologique dans la devise: « si vous désobéissez, dissimulez-vous. » Ce Hadith est la légitimation sacrée de cette ambivalence et l’attestation de la fausse dévotion de ces donneurs de leçons qui flirtent en réalité avec le paroxysme de la perversion et du vice. Les pays gouvernés par la chariaa n’occupent-ils pas le haut du classement des visites des sites pornographiques? La pédophilie? une pratique normalisée voire tolérée par ces mêmes sociétés. S’il est un enseignement qu’il faut tirer de ce piteux constat, c’est que la répression des instincts sous n’importe quelle couverture, ne fait qu’exacerber la libido. Pis, la pervertir. Mais au train où vont les choses sur le plan politique et social, on ne sortira pas de sitôt de l’auberge ni du cercle vicieux qui nous engloutit chaque jour davantage dans ses abîmes. S’en extirper n’est même pas envisageable au risque d’être voué aux gémonies et de subir l’opprobre populaire. Ce système s’accommode parfaitement des tabous qui minent la société et qui ont généralement trait aux mœurs, à la sensualité et aux interdits religieux de tout genre. Cet antagonisme permanent entre l’appel du corps et la subordination aux garde-chiourmes de la promotion de la vertu et la prévention du vice nourrit des frustrations et produit des bombes à retardement prêtes à exploser à la moindre incandescence. Ce déni public des desiderata du corps pousse l’individu à se réfugier dans ses fantasmes les plus décalés qu’il ne peut assouvir que dans ses élucubrations lubriques dans l’au-delà. Les conséquences désastreuses de cet état d’esprit ne se cantonnent pas uniquement au domaine social. En effet, même le secteur économique s’y mêle et se trouve à son tour touché directement. À titre d’exemple, le commerce d’alcool est complètement opaque et verrouillé par un système d’autorisations qui n’est visiblement réservé qu’à une poignée de privilégiés gravitant autour de la sphère du pouvoir et du microcosme des rentiers.

Aucune transparence sur les modalités d’octroi de ces absurdes autorisations. Pas la moindre publication sur les procédures à suivre par un investisseur désirant vendre ou servir de l’alcool dans son établissement. Cette opacité éveille les soupçons quant à la présence de réseaux occultes qui agissent dans la clandestinité la plus totale où l’argent sale coule à flot et le trafic d’influence est la règle.

Par-delà ce verrouillage qui bride l’initiative privée et consacre la cartélisation de ce secteur considéré comme une poule aux œufs d’or eu égard aux profits colossaux qu’il génère, il existe tout un marché parallèle qui s’est développé grâce à des points de vente clandestins qui pullulent un peu partout dans les quartiers populaires aussi bien dans le milieu urbain que rural. Leur prolifération trouve son explication dans deux facteurs: la corruption et le dogme religieux. Les deux font la paire. C’est peut-être le fait religieux ayant trait à l’interdiction de la consommation d’alcool pour les musulmans, par ailleurs sujet de controverse entre différents courants de pensée, qui est derrière ces restrictions et la mise à l’écart de ce business, pourtant légal en vertu d’un texte, par rapport aux autres brevages et produits de consommation.

Craignant l’ire populaire et les réactions hostiles de la frange intégriste qui détient le monopole des mosquées, les autorités préfèrent adopter la politique de l’autruche et transgresser du coup le principe de bonne gouvernance et de l’égalité des chances entre citoyens. Mais pas que. En effet, cette posture dogmatique fait ses choux gras aux trafiquants du marché noir, aux détenteurs privilégiés des autorisations de vente d’alcool et aux corrompus de tous bords qui s’accommodent parfaitement de ce système et font feu de tout bois pour assurer sa pérennité. Pour l’anecdote, il y a quelques années, la rumeur de l’ouverture d’un point de vente légal d’alcool dans un village a provoqué des manifestations de refus de la part des riverains qui avaient brandi des slogans religieux laissant paraître un degré de piété très élevé. Toutefois, la réalité est tout autre. C’étaient bien les vendeurs d’alcool clandestins qui avaient tout orchestré en mobilisant leurs bigots déchainés et en finançant cette mise en scène pour avorter ce projet dont l’entrepreneur est loin d’être un exemple de droiture et de bienséance, mais au moins il allait payer ses impôts à l’État et créer quelques postes d’emploi. Quand l’entreprise de manipulation est ourdie par les tartuffes et mise en selle par les ouailles, la déchéance programmée de la nation n’est qu’une question de temps!

Discussion

A propos de Le Zenith

A voir aussi

POUR LA PRÉSERVATION DU VIVANT

Par Hédi LABBANEPeintre-enseignant « On a généralisé le baccalauréat comme diplôme de fin d’études secondaires …